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L'Oiseau De Feu de Jacques Brossard
--> Une Analyse Globale et "Impressioniste" de l'Oeuvre Après la Lecture de son Quatrième Volume
Cette "lecture" de la monumentale et importante série de volumes de SF intitulée L'Oiseau De Feu de l'auteur Québécois Jacques Brossard est déjà parue, il y a quelques années, dans la revue Solaris.

Elle mérite encore, je crois, quelques lecteurs, préférablement de ceux qui n'ont pas encore découvert la riche, excellente. symbolique et multiforme oeuvre de Jacques Brossard.

En vous souhaitant le même plaisir de lecture que j'ai ressentit alors...

Quelques Opinions et Considérations sur L'Oiseau de Feu de Jacques Brossard Après la Lecture du Quatrième Volume de la Série

Mentionnons d'abord, avant mon commentaire proprement dit, qu'il est extrêmement difficile de rendre pleinement justice à cet ouvrage considérable, dans tous les sens du mot, et cela, pour plusieurs raisons non liées aux qualités intrinsèques, diverses et nombreuses, du livre lui-même. En effet, il ne s'agit ici que du quatrième volume ou, selon la terminologie de l'auteur, plus exacte, de la troisième partie du deuxième tome de cette oeuvre imposante et multiple que constitue L'Oiseau de Feu. Plus qu'un roman complet et entier, parfaitement autarcique, où le récit se conclut, les personnages voient leur destin s'accomplir pleinement, les mystères s'éclairent et le lecteur trouve une réponse, que l'on souhaite suffisamment satisfaisante, à la plupart, sinon à toutes ses questions, nous ne devons évaluer ici qu'une partie seulement du projet littéraire. Et donc, nous ne pouvons complètement apprécier toute sa valeur et sa cohérence, sans parler des effets de concordance, de jeu littéraire, d'échos, de complémentarité et de références diverses qu'il présente et qui sont aussi, je crois, une partie des plaisirs offerts par cette entreprise. Ce seul et unique épisode, pour cohérent et relativement autonome qu'il soit, conserve quand même un caractère un peu frustrant et parcellaire pour le lecteur pas encore familier avec l'ensemble de l'oeuvre. Un peu comme dans les diverses parties de A La Recherche du Temps Perdu de Proust ou, pour choisir des exemples plus parlants et surtout plus près de nos genres de prédilection, tel ou tel livre du Seigneur des Anneaux de Tolkien ou de la Trilogie de Gormenghast de Peake, le lecteur non familier avec les volumes qui précèdent peut parfois se sentir légèrement dérouté, ou même perdu, et ne pas être en mesure de savourer pleinement tout ce que contient celui-ci, toute sa richesse. Assurément, ce livre ne peut réellement s'évaluer et s'apprécier sans la fréquentation, voire la méditation, des précédents, et de celui qui conclura l'ensemble.

A sa lecture, on prend rapidement conscience de la force créatrice, du sérieux, de la minutie, de l'implication avec laquelle l'oeuvre a été composée, sans compter la peine et le travail considérables (et assurément aussi la joie créative, ou tout cela en même temps, de manière indissociable) qu'elle a dû exiger et de l'importance certaine qu'elle revêt pour son créateur. Toutes choses qui suscitent déjà respect et même admiration. On se doit donc, par honnêteté envers l'oeuvre et son auteur, de se pencher sur eux avec une attention et des efforts réels sinon aussi considérables que ceux qui ont présidé à l'écriture du livre, de les aborder muni de toutes ses ressources affectives et intellectuelles, même si ce n'est que d'une manière, dans un espace disponible et avec un temps bien insuffisants. Mais pour ces mêmes raisons de temps et d'espace disponibles, et peut-être aussi de compétence de ma part, je ne rendrai donc compte d'un tel ensemble, imposant et monumental, au sens le plus positif, que d'une manière fort impressionniste plutôt qu'analytique, délaissant un peu la construction, les procédés littéraires, les thématiques, la symbolique et l'étude approfondie des personnages, certainement pas à cause d'un manque d'une matière, fort dense et riche, à circonscrire et à étudier, mais bien pour des raisons pitoyablement pratiques. Cette oeuvre attend les thèses, articles ou études, fouillées et exigeantes, par des esprits sensibles et pénétrants, qu'elle réclame et mérite. Donc, vous êtes prévenus, vous lisez une critique impressionniste et émotionnelle, plutôt que analytique et rationaliste.

Ces précautions nécessaires étant prises, que l'on me permette ici de rassurer le lecteur et de déclarer bien haut que L'Oiseau de Feu, pris dans son ensemble (en réservant toutefois mon évaluation pour ce qui concerne le dernier volume, que je n'ai pas encore lu) , représente assurément, pour ce commentateur, une réelle réussite, une joie et un privilège de lecture presque constant, un des ouvrages les plus beaux, les plus amples, les plus luxurieusement foisonnants, les plus ambitieux et les plus importants que notre genre ait produit au Québec, et peut-être également un des plus remarquables de la littérature québécoise dans son entier. Déjà, ce n'est pas rien. Ce livre est bien digne de la série d'ouvrages de même ampleur évoqués plus haut. On ne peut qu'en recommander fortement non pas la simple lecture, mais également la relecture. Tenter ici un résumé ne serait-ce qu'un peu exhaustif d'une telle oeuvre dépasserait certainement le cadre de ces brèves notes (et peut-être la compétence du commentateur, certainement son talent de synthèse) , et je ne m'y essaierai même pas. Je me contenterai d'esquisser ici les grandes lignes du destin d'Adakhan et les développements de ce quatrième volume, pour vous situer.

Né dans la Cité dégradée et compartimentée de Manokhsor, parmi les Périfériens contrôlés et manipulés, le jeune forgeron Adakhan Demuthsen a traversé ses ¨Années D’apprentissage¨ , son ¨Recyclage¨ dans l’Utopie- Dystopie de la Centrale aux habitants en majorité tout aussi contrôlés et conditionnés par leurs dirigeants, toujours aussi avide de réponses à ses multiples questions, de liberté et de bonheur pour tous, de découvrir les véritables maîtres de la Cité, vivant dans la Tour en son centre, et de comprendre leurs multiples buts cachés. Après diverses épreuves, Adakhan devient un habitant de la Centrale, y découvrant sa place et l'existence des deux clans qui divisent les scientifiques qui sont les maîtres de l’expérience menée sur Manokhsor et ses habitants, établissant d'abord ses sympathies avec l'équipe du Vieux Syrius, promoteur du projet Phénix, qui est en opposition avec celle de Lokhfer, sorte de frère ennemi. Mais dans ce quatrième volume, il doit continuer à réfréner son impatience, ses désirs de révolution et de changement rapide de la société, tiraillé entre son profond désir de transformer la situation des Périfériens et le monde où ils vivent et le respect, la confiance qu’il éprouve pour Syrius et ses méthodes plus lentes et subtiles. Adakhan se voit finalement dans l'obligation paradoxale de se joindre à Lokhfer et son équipe, en venant même à se rapprocher momentanément de celui-ci et de son point de vue, définitivement plus tenté par l'action spectaculaire, concrète et immédiate sur le monde extérieur que par le lent changement intérieur et personnel préconisé par Syrius, ses plaidoyers pour des systèmes souples et ouverts plutôt que rigides et fermés. Mais Ardakhan se révoltera finalement contre Lokhfer pour lui reprendre son amie Laïtha, redécouvrant le profond fossé moral qui les sépare finalement et reviendra vers Syrius, l'aidant à finaliser son projet et acceptant de partir à bord de L'Oiseau de Feu, un vaisseau qui amènera quelques rares survivants jusqu'à un autre monde, la planète Asmev, alors que la catastrophe annoncée de longue date se déchaîne plus tôt que prévu sur Manokhsor et la Centrale. Quel sera le destin de ce dernier espoir, quelles nouvelles société et existence les survivants construiront-ils? C’est ce que devrait nous apprendre le dernier livre.

L'histoire d'Adakhan, son destin exceptionnel, son évolution psychologique et morale, parfois ambiguë, tortueuse et apparemment contradictoire, sa quête de liberté et de lucidité, d’amour, de connaissance, voire de vérité, ainsi que ses pérégrinations diverses dans la Cité des Périfériens et dans la Centrale, les mondes décrits et la foule de personnages divers que nous offre cette véritable saga, quand même plus morale, spirituelle et psychologique que véritablement épique ou héroïque, et c'est probablement mieux ainsi, tout à tour étonnent, charment, ravissent le lecteur attentif et éveillé. Il découvre également que l'ensemble contient assurément des moments de bravoure, de nombreux tableaux somptueux de grandeur, de beauté, de couleurs, d'imagination, de puissance de vision ou d'évocation. La description de la Cité et du séjour souterrain fait par Ardakhan dans le deuxième livre, celle de ses divers cauchemars, son poignant retour, plus ou moins en secret, à la Cité, la vision des ruines de celle-ci après les premières manifestations majeures de la Catastrophe, sont des morceaux particulièrement réussis. En fait, le livre puise à des traditions multiples et honorables du patrimoine mythique (et même philosophique) mondial, de la littérature universelle, celle de genre ou la plus générale, et son auteur en est parfaitement conscient, en plus de le revendiquer pleinement. En le lisant, on voit bien que, pour lui, comme pour certains de nos lecteurs, la différence, quand on considère les meilleures oeuvres d'un genre ou l'autre, n'existe pas en pratique. C'est là une vision aimable et englobante avec laquelle je suis en plein accord, et même une attitude courageuse de la part d'un auteur dont la place et la renommée étaient déjà bien établies dans la littérature québécoise la plus reconnue, et dans notre société en général, par son oeuvre juridique et constitutionnelle. Bien que je ne serais pas surpris que certains aient parfois pu considérer une partie de son oeuvre de fiction avec l'oeil un peu inquiet, méfiant, suspicieux et incompréhensif que l'on réserve habituellement au Rêve, à l'Imagination (cette bonne vielle folle du logis qui, comme la Poésie, nous réjouit et colore notre paysage ordinaire si gris et morne) , à tout ce qui est donc trop différent, trop hors normes, inclassable et irréductible à la respectabilité, aux bonnes moeurs et aux vieilles catégories figées, rancies et bien rassurantes. Jacques Brossard devait parfois avoir l'impression d'être vu comme l’Étranger (dans tous les sens du mot) au village, son Ermite, son Conteur, son Magicien, voire son Sorcier... Il faut, je crois, lui être reconnaissant d'avoir assumé cette position malaisée et un rien périlleuse. Et ceux qui croient encore que Brossard n'a visité nos contrées que par accident, ou sans vraiment sans rendre compte, devraient lire au moins sa belle postface du cinquième volume, véritable chant d’amour aux littératures de l’Imaginaire et à leurs possibilités infinies. Et en être définitivement édifié. Reste qu'il est plaisant de voir qu'un tel mariage, celui de la SF et de la Fantasy (voire du Fantastique) avec la Littérature que l'on considère plus sérieuse, à tort ou à raison, que leurs noces, à un tel niveau, peuvent réellement être praticable, enrichissante et génitrice d'enfants beaux, intelligents et pleins de santé. Mais tout le monde devrait déjà connaître les apports, les plaisirs et les ressources des métissages, des hybridations, des mélanges harmonieux et réussis. Il reste que de grandes lignes et certaines filiations évidentes peuvent être dégagées, certaines couleurs étant plus présentes et importantes que d'autres dans ce tableau somptueux, et servant de repères, d'hommages et d'orientation, voire d'éléments de comparaison au lecteur. Les influences SF (Borgès, Gene Wolfe, J. G. Ballard, entre autres, témoignant d'une incontestable et suffisante connaissance de nos littératures) ou celles extérieures au genre, sont bien assimilées, assumées et parfois revendiquées comme telles par Brossard, mais aussi habilement transmutées, magnifiées et surtout utilisées avec soin et mesure, appliquées très précisément au projet, aux intentions, aux préoccupations, au ton et au style propres de l'auteur. Elles sont fort multiples, parfois évidentes, parfois un peu plus secrètes. Assurément chacun pourra, selon l'acuité de son regard et ses préférences personnelles, en trouver les touches légères ou les profondes empreintes, selon le cas, mais, je le répète, presque toujours complètement intégrées, transformées et adaptées au propos de l'auteur. Ainsi, on retrouve assurément dans l'oeuvre de multiples préoccupations mythiques (Fréquentation de l'oeuvre de Joseph Campbell... ? ) , morales, éthiques, symboliques, spirituelles et philosophiques, voire psychanalytiques (Jung, cette fois... ) , de même que le fond, la démarche presque anthropologiques, les situations, archétypes et personnages du récit initiatique, de la fable utopique, du roman d'apprentissage, tels qu'illustrés par des auteurs comme Hesse, qui est le plus évident, et peut-être bien le plus marquant, et la forme du dialogue grec antique, platonicien ou autre. La grande floraison des poètes romantiques anglais (Coleridge, peut-être, Yeats et Milton assurément) ou bien encore allemands (Heine, Hodërlin, Schiller) a déposé également sa couche d'humus, un riche substrat de rêves et d'images sur lesquelles ont poussé ceux de Brossard, —mais je détecte plus rarement, à part pour Lautréamont, la présence des français, Hugo ou Châteaubriand, par exemple, à la vision moins tournée vers l'Imaginaire, il est vrai... — tant dans l'importance de la description du monde physique et de la nature (et de leurs relations, voire leurs pouvoirs de révélation, intérieure et extérieure, sur les personnages) , l'exaltation et la proclamation de l'amour charnel et romantique, ou tout simplement fraternel, humain, que par la dimension parfois un peu prométhéenne du Projet et la stature de ses initiateurs et participants, -qui s'applique d'ailleurs à d'autres habitants de la Centrale, mais dans des tonalités plus sombres toutefois, moralement et éthiquement parlant, en tous cas- que dans la vison du monde, de l'écriture, du style lui-même.

Et justement, cette écriture, cette voix, ce style, disons-en quelques mots ici, pour lui rendre un hommage mérité, à défaut de pleinement justice, ou de le donner à lire, à savourer, à entendre, dans toute sa splendeur et sa musicalité, puisqu'il constitue un des principaux plaisirs de ce roman. Le livre contient diverses pages absolument superbes, parcourues d’images cristallines, minérales, liquides ou lumineuses, dans une langue souvent riche, pleine et recherchée, parfois située aux limites d’un baroque surchargé, parfois d’une simplicité et d’une limpidité désarmante de clarté et d’élégance, des phrases mises au service de descriptions sensibles et fort évocatrices, dont les mots chantent et colorent littéralement la page imprimée, en nombre peut-être un peu moins grand que dans les deux premiers volumes, mais avec une présence toujours bien réelle et sensible. C'est particulièrement le cas dans le domaine des sensations de l'amour physique et de la peinture du territoire dévasté de la Centrale après les premiers effets de la catastrophe. Le plus souvent, l'écriture est élégante et intelligente, magnifiquement ample et rythmée, brassant les mots et les agençant avec une art puissant et splendide, un grand sens de l'assonance poétique, et un constant soucis de beauté, surtout dans l'évocation des paysages et des architectures, des sentiments, du monde sensible et des impressions visuelles, particulièrement efficaces, même si ces parties lyriques se trouvent, de temps à autres, brusquement interrompues, avec une sorte de hardiesse, et peut-être plus périlleusement, surtout dans les derniers livres, ou entrecoupées par de courts passages que je qualifierais de plus "techniques" ou même d'"expérimentaux" , (On notera les guillemets, je l'espère... ) parfois légèrement moins heureux, pour moi, et au sujet desquels je me suis quelques fois un peu interrogé... Est-ce là une marque de préoccupations techniques ou scientifiques envers l'aspect proprement SF du livre, et également un hommage aux tendances les plus "modernes" de la Littérature? On pourrait le penser. Je parlais de jeu littéraire, plus haut, et en effet le roman est accompagné d'un considérable para-texte présentant de nombreuses citations, un avant-propos, des notes, une présentation et une préface de l'auteur, qui s'y considère uniquement comme un des trois ¨traducteurs¨ de l'ouvrage. Tout cela, de même que divers choix narratifs, souvent complexes, n'est pas sans susciter, paradoxalement, à la fois un considérable ¨effet de réel¨ , et parfois aussi de légère ¨artificialité¨ , entretenant l'aspect d'un jeu littéraire brillant, qui tient autant du récit enchâssé dans la narration dans sa tradition la plus vénérable et la plus classique que de différents essais plus récents et modernistes. C'est particulièrement sensible dans la multiple diversité des procédés utilisés dans ce quatrième volume, essentiellement constitué de larges extraits des journaux d'Adakhan et de Selvah, son amante, des Notes de Laïtha, du Carnet de Syrius, de la transcription de microfilms neuroscopiques, de communications de MO l'Ordinateur et de mystérieux dialogues extérieurs en italiques insérés dans le corps du texte, parfois accompagnés de certaines présentations graphiques et typographiques. On trouve également différents passages, à mon avis plus secs ou arides, plus dialogués, entre autres occasions quand doivent être présentées des idées morales, scientifiques ou philosophiques complexes, des débats sur ces mêmes idées, de modèle Platonique, Socratique ou même Castenadien, et des réflexions au milieu desquelles des explications diverses font également irruption de manière parfois inopinée, mais en bien moins grand nombre que dans le troisième livre, où alors le rythme du récit, déjà plus méditatif qu'agissant dans sa conception et sa présentation, semblait se ralentir, voire s'immobiliser presque. Mais j'admets volontiers qu'ils étaient souvent nécessaires, en tous les cas utiles, dans l'ample cadre de la pensée filandreuse et cohérente, mais parfois aussi méandreuse, discursive et non immédiatement évidente, bien dans le caractère et la manière du personnage, de Syrius Le Vieux, autant guide que, parfois, révélateur-confrontateur d'Ardakhan. Mais quand on considère la splendide performance d'écriture de l'ensemble de l'oeuvre, ces difficultés ne comptent guère... En fait, à travers les aventures de son personnage principal et son cheminement dans ce monde imaginaire, mais aussi parfois très étrangement "semblable" au nôtre, dans la manière légèrement de côté, décalée ou transposée de la vision d'une Esther Rochon, par exemple, le but de Brossard est peut-être tout simplement, en plus de l'expression artistique, esthétique et émotionnelle qui lui est plus personnelle, de celle de son expérience, de sa vie et de ses rêves, de ses craintes et de ses espoirs, de nous offrir un regard, une vision du monde ouverte, originale et profonde, morale et éthique, peut-être aussi sociale, au sens le plus noble, humaniste sans illusions, une proposition, un appel, un mouvement vers ce "changement de la vie et du monde" , voire des êtres eux-mêmes, si cher aux surréalistes (et ce n'est qu'ici que m'aperçois que j'aurais également dû aborder cet aspect précis, souvent profondément visuel, subversif et déstabilisant, ce désir continuel de remise en question, de fluidité, de changement, d'expériences diverses, parfois mêmes très formelles, bien que sagement, que ce roman partage avec le meilleur de ceux issus de la mouvance de Breton, ainsi qu'une partie de la SF et du Fantastique contemporains) et qui rendent ce livre ambitieux si profondément sympathique, tant au point de vue de ses intentions que de ses accomplissements. L’art ample et l’égale habileté avec lesquels Brossard dévoile beautés et horreurs, rend accessible rêves et cauchemars, ravissent et confondent le lecteur.

J'en suis certain, Jacques Brossard nous donne là une grande oeuvre, magnifique et importante, esthétique, morale et philosophique, souvent magique, au sens complet et premier du mot, pleine de splendeurs et parfois d'horreurs, une création de mondes, de sociétés et de personnages mythologiques, poétiques, (on est tenté d'écrire alchimiques... ) qui suscitent émotions profondes, réflexions, interrogations, remises en question. C’est également l'appel d'une grand artiste, doté d'une culture et d'une expérience de vie considérables, d'un humaniste sincère, pas encore tout à fait désillusionné, à l'espoir et au désespoir également élégants, souvent lucides, subtilement complémentaires de ceux d'auteures de SF québécoise d’une qualité et d’une l'importance aussi incontestables qu'Esther Rochon ou encore Élisabeth Vonarburg. Bref, ce livre est à lire par tous ceux qui aiment l'Art, la Littérature de qualité, le mouvement souple de la pensée et de la réflexion, l'expression de la beauté et de l'émotion véritables, par ceux qui aiment nos genres de prédilection, que n'effraient ni les expériences inhabituelles, ni le recours à l'Imaginaire pour la remise en question et l'interrogation des certitudes, à ceux qui croient encore au caractère indispensable de la poésie, de la fable et des mythes dans nos sociétés, pour nous dire et nous révéler quelque chose d'important sur nous mêmes et le monde dans lequel nous vivons tous aujourd'hui, et sur celui où nous vivrons peut-être demain. Et on ne peut avoir qu’une hâte, celle de lire le dernier volume car, comme le dit Jan Altaman, l’alter ego de Brossard, dans la toute dernière phrase du livre, nous sommes passés ¨d’une Centrale close à son ouverture sur l’inconnu¨ et, pour cette oeuvre, ¨le sens est à la fin¨ .

Jacques Brossard, L'Oiseau de Feu 2C-Le Sauve-Qui-Peut, Leméac, Montréal, IX et 505 pages.

René Beaulieu
Ecrit par René Beaulieu, le Samedi 3 Septembre 2005, 15:32 dans la rubrique Textes.