Chromoville par Joëlle Wintrebert
--> Un Avis Sur Un Roman D'Une Des Meilleures Auteures de SF En France
J'ai toujours beaucoup aimé tout ce que j'ai lu de Joëlle Wintrebert. En fait, tant par son écriture que par ses thèmes, ses préoccupations, son style, sa voix, sa sensibilité et sa "vision du monde" , telle que l'on la retrouve dans ses romans et nouvelles, cette dame "me rejoint" beaucoup, fréquemment et puisamment. En fait, son oeuvre m'apparait en tous points excellente et exemplaire, parmi celles des auteurs de SF Français que je lis régulièrement.
Et comme partager mes plaisirs et faire découvrir à d'autres lecteurs un auteur que j'admire m'est toujours fort agréable et gratifiant, voici donc, dans une version révisée et complétée, un petit article sur un des meilleurs et des plus facilement accessibles des romans de Joëlle Wintrebert.
Faites-vous donc un grand plaisir, lisez-le ! Et lisez également ses autres livres ! ;-)
JOËLLE WINTREBERT, Chromoville, Paris, J'ai Lu 1576, 1984
Avec sa nomination récente à la direction d'UNIVERS, l'anthologie annuelle de SF bien connue paraissant chez J'ai Lu, son Prix Rosny, et surtout trois excellents romans à la suite et plus d’une vingtaine de nouvelles, Joëlle Wintrebert s'est maintenant complètement dégagée, me semble-t-il, de cette zone fort vague et pleine d'ombres où l'on relègue malheureusement par trop souvent, durant leurs premières années d’écriture, les jeunes écrivains francophones oeuvrant dans les domaine de l’Imaginaire. Et comme il n'y a rien de mieux que cette lumière de la publication et l’eau fraîche de la reconnaissance par ses pairs pour bien faire croître le talent, on peut maintenant pleinement affirmer qu'avec ce roman-ci notre plante-écrivaine a atteint une stature tout à fait égale et très favorablement comparable à celle des meilleurs auteurs de SF, de France et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Tant en ce qui concerne la beauté et l’élégance formelle de la phrase, la maîtrise de l’intrigue, l’importance accordée à des explorations originales de thèmes bien développés (relevant la plupart du temps de la biologie, de la quête de l’identité, d’un engagement politique égalitaire et libertaire, de la redéfinition des rôles sexuaux et de la communication entre les êtres) , souvent très prégnants, et surtout reliés « à l’espace intérieur » , aux sciences du vivant, à l’expression artistique, Joëlle Wintrebert n’a vraiment plus grand-chose à leur envier. Bref, mettant un instant de côté mon lyrisme naturel, je me contenterai maintenant de vous dire ici que Chromoville est un superbe roman, situé au rare et délicat point de contact onirique de la planet story et de l'anti-utopie,plein d'idées intéressantes (une cité stratifiée en fonction de la race/couleur/origine/occupation de ses habitants, base d'une société extrêmement hiérarchisée, socialement et économiquement, donc cela nous parle donc en ce moment plus que jamais, il me semble bien) et surtout de personnages réalistes et très complexes (Sélèn, métamorphe très attachant et danseur sacré, Narcisse, absolument magnifique et déchirée et la figure assez considérablement ambiguë d'Argyre, au patronyme symbolique fort parlant), à la peinture desquels l'auteure porte, comme toujours, beaucoup de soin et d'attention. Evidemment, on pourrait parfois arguer, si on est un esprit s’acharnant sur « la nouveauté à tout prix » des situations romanesques de départ, ou bien encore que l’on se sent de tendance particulièrement frileuse, voire conservatrice, devant le bouleversement souhaitable, et bien souhaité ici, de sociétés un peu trop férocement stables pour la liberté ou le bonheur véritables de leurs habitants ainsi que des « valeurs » qu’elles soutiennent habituellement, si on craint la recherche et l’émergence du « vivre autrement » , on pourrait avancer donc, que la trame prise de conscience/désir de changement/révolte, ouverte ou souterraine, contre l'Etat (totalitaire) des choses est un schéma un peu trop classique, mais c’est aue, justement, le principal intérêt d'une telle variation, bien plus subtile et réfléchie qu’à l’ordinaire ici, sur un thème bien connu et déjà « travaillé » , se trouve alors également dans ses multiples à-côtés (références artistiques et mythologiques, observations politiques et psychanalytiques très riches et intéressantes, utilisation subtile et constante d'une symbolique éclairante et intelligente) , comme c'était le cas dans les premières grandes œuvres d’un Delany, par exemple, auxquels ce livre m'a parfois fait penser, notamment au niveau de son style parfois aussi chantant et poétique, et de la sensibilité qui s'en dégage alors. Voilà donc, un roman superbe, dans lequel l’Art, la politique (au sens le plus « noble » , mais également le plus concret et important, celui du chercher à mieux « vivre ensemble » ) , la science et la poésie tendent les unes vers les autres, s’unissant et se fécondant alors en des noces fructueuses, sensuelles, modificatrices et splendides, mêmes si pas sans sacrifices et adaptations, remises en questions et bouleversements profonds. C’est un bon et beau livre, très cher à nos choix, à nos désirs, à nos amours, et si bien réussi que, lorsque et puisqu’il « se bat avec ses rêves » , il nous les présente alors comme si bellement crédibles, et presque possibles, qu’il nous rend parfois, à nouveau, nou, ses lecteurs, capables d’efforts, capables de désirs et d’espoir dans ce qui pourrait être « autre » ou, au moins, ce qui pourrait vouloir essayer de devenir différent.
René BEAULIEU
Note : Une première version de ce texte est déjà parue, il y a quelques années, dans la revue Solaris.
Et comme partager mes plaisirs et faire découvrir à d'autres lecteurs un auteur que j'admire m'est toujours fort agréable et gratifiant, voici donc, dans une version révisée et complétée, un petit article sur un des meilleurs et des plus facilement accessibles des romans de Joëlle Wintrebert.
Faites-vous donc un grand plaisir, lisez-le ! Et lisez également ses autres livres ! ;-)
JOËLLE WINTREBERT, Chromoville, Paris, J'ai Lu 1576, 1984
Avec sa nomination récente à la direction d'UNIVERS, l'anthologie annuelle de SF bien connue paraissant chez J'ai Lu, son Prix Rosny, et surtout trois excellents romans à la suite et plus d’une vingtaine de nouvelles, Joëlle Wintrebert s'est maintenant complètement dégagée, me semble-t-il, de cette zone fort vague et pleine d'ombres où l'on relègue malheureusement par trop souvent, durant leurs premières années d’écriture, les jeunes écrivains francophones oeuvrant dans les domaine de l’Imaginaire. Et comme il n'y a rien de mieux que cette lumière de la publication et l’eau fraîche de la reconnaissance par ses pairs pour bien faire croître le talent, on peut maintenant pleinement affirmer qu'avec ce roman-ci notre plante-écrivaine a atteint une stature tout à fait égale et très favorablement comparable à celle des meilleurs auteurs de SF, de France et d’ailleurs, d’hier et d’aujourd’hui. Tant en ce qui concerne la beauté et l’élégance formelle de la phrase, la maîtrise de l’intrigue, l’importance accordée à des explorations originales de thèmes bien développés (relevant la plupart du temps de la biologie, de la quête de l’identité, d’un engagement politique égalitaire et libertaire, de la redéfinition des rôles sexuaux et de la communication entre les êtres) , souvent très prégnants, et surtout reliés « à l’espace intérieur » , aux sciences du vivant, à l’expression artistique, Joëlle Wintrebert n’a vraiment plus grand-chose à leur envier. Bref, mettant un instant de côté mon lyrisme naturel, je me contenterai maintenant de vous dire ici que Chromoville est un superbe roman, situé au rare et délicat point de contact onirique de la planet story et de l'anti-utopie,plein d'idées intéressantes (une cité stratifiée en fonction de la race/couleur/origine/occupation de ses habitants, base d'une société extrêmement hiérarchisée, socialement et économiquement, donc cela nous parle donc en ce moment plus que jamais, il me semble bien) et surtout de personnages réalistes et très complexes (Sélèn, métamorphe très attachant et danseur sacré, Narcisse, absolument magnifique et déchirée et la figure assez considérablement ambiguë d'Argyre, au patronyme symbolique fort parlant), à la peinture desquels l'auteure porte, comme toujours, beaucoup de soin et d'attention. Evidemment, on pourrait parfois arguer, si on est un esprit s’acharnant sur « la nouveauté à tout prix » des situations romanesques de départ, ou bien encore que l’on se sent de tendance particulièrement frileuse, voire conservatrice, devant le bouleversement souhaitable, et bien souhaité ici, de sociétés un peu trop férocement stables pour la liberté ou le bonheur véritables de leurs habitants ainsi que des « valeurs » qu’elles soutiennent habituellement, si on craint la recherche et l’émergence du « vivre autrement » , on pourrait avancer donc, que la trame prise de conscience/désir de changement/révolte, ouverte ou souterraine, contre l'Etat (totalitaire) des choses est un schéma un peu trop classique, mais c’est aue, justement, le principal intérêt d'une telle variation, bien plus subtile et réfléchie qu’à l’ordinaire ici, sur un thème bien connu et déjà « travaillé » , se trouve alors également dans ses multiples à-côtés (références artistiques et mythologiques, observations politiques et psychanalytiques très riches et intéressantes, utilisation subtile et constante d'une symbolique éclairante et intelligente) , comme c'était le cas dans les premières grandes œuvres d’un Delany, par exemple, auxquels ce livre m'a parfois fait penser, notamment au niveau de son style parfois aussi chantant et poétique, et de la sensibilité qui s'en dégage alors. Voilà donc, un roman superbe, dans lequel l’Art, la politique (au sens le plus « noble » , mais également le plus concret et important, celui du chercher à mieux « vivre ensemble » ) , la science et la poésie tendent les unes vers les autres, s’unissant et se fécondant alors en des noces fructueuses, sensuelles, modificatrices et splendides, mêmes si pas sans sacrifices et adaptations, remises en questions et bouleversements profonds. C’est un bon et beau livre, très cher à nos choix, à nos désirs, à nos amours, et si bien réussi que, lorsque et puisqu’il « se bat avec ses rêves » , il nous les présente alors comme si bellement crédibles, et presque possibles, qu’il nous rend parfois, à nouveau, nou, ses lecteurs, capables d’efforts, capables de désirs et d’espoir dans ce qui pourrait être « autre » ou, au moins, ce qui pourrait vouloir essayer de devenir différent.
René BEAULIEU
Note : Une première version de ce texte est déjà parue, il y a quelques années, dans la revue Solaris.
Ecrit par René Beaulieu, le Mardi 6 Septembre 2005, 16:30 dans la rubrique Textes.