Entrevue Avec Denis Coté Et René Beaulieu Sur Le Thème Du Temps En Science-Fiction
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Une Entrevue Avec Denis Côté Et René Beaulieu Sur Le Thème Du Temps En Science-Fiction
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Voici donc certaines parties de l'ancienne entrevue réalisée avec Denis Côté et moi, lors d'une émission de radio à CKRL-FM, la bien connue station de Québec, un texte dont on a pu déjà pu lire la quasi intégralité dans un numéro de la revue Solaris, il y a quelques années, et qu'il avait alors fallu raccourcir un peu, pour diverses raisons,lors de sa publication première. Ce ne sont là que quelques dialogues et réflexions émis lors d'une conversation sur le thème du Temps, et ses affiliés, tels qu'uilisés dans nos littératures, en bande-desinnées et au cinéma de SF également. On tiendra compte ici qu'elle date quand même de presque une bonne quinzaine d'années et que nos idées et impressions, concernant tout cela, peuvent avoir un peu changer depuis...
Les signes typographiques suivants (...) indiquent que des extraits de l'entrevue ont été retirés pour cette publication-ci et qu'ils n'ont été pas encore restaurés à partir de l'original, qui repose présentement dans mes archives personelles. Mais ce devrait être fait d'ici quelques temps... , c'est le cas de le dire! )
Je vous souhaite une bonne lecture.
Quelques Réfexions sur le Thème du Temps dans la Science-Fiction
Une discussion avec Denis Côté et René Beaulieu
Animateur: Vous êtes deux écrivains oeuvrant dans ce que l'on pourrait appeler le domaine de l'Anticipation. Si on commençait par définir le terme... ?
Denis Côté: L'Anticipation, comme bien d'autres domaines, je la voie comme une branche de la Science-Fiction. Pour moi, la SF n'est pas tellement un genre qu'un ensemble de genres très divers. Mais si l'on regarde cet espèce de "sous-genre" , avec des guillemets, qu'est l'Anticipation, déjà, quand on considère le mot lui-même, on peut y trouver un définition assez simple. Il y a "anticiper" dans anticipation. On anticipe, on regarde ce qui va se passer demain.
Animateur: L'Anticipation serait donc un sous-genre de la Science-Fiction. Quels seraient les autres?
DC: Il y en a beaucoup...
René Beaulieu: Il y en a de très nombreux. La Science-Fiction, c'est une grande famille de genres littéraires. Tout cela est né, évidemment, du Fantastique. La SF en tant que telle est née du Fantastique, du récit utopique, des légendes, des sagas, de toute la littérature mythologique, orale et écrite des âges anciens. Et au siècle dernier, avec l'arrivée de l'ère industrielle et des progrès scientifiques, la SF est vraiment apparue comme telle, un espèce de produit et de dérivé de tout l'Imaginaire des êtres humains, maintenant nourri par le progrès scientifique. Pour ce qui est des divisions ou différences entre les genres... Très schématiquement, -- Et on pourrait me contester ici, les gens s'arrachent habituellement les cheveux sur les définitions -- on trouve dans la Science-Fiction des genres comme l'Uchronie, qui est une sorte d' "Histoire parallèle" , si l'on veut une définition pratique. Il s'agit ici de bâtir une "nouvelle Histoire" , de faire un texte "historique" , ou plutôt "pseudo historique" , à partir d'une divergence, importante ou non, avec notre Histoire réelle, de décrire une Histoire autre. On part de notre Histoire à nous, telle que nous la connaissons, et l'on imagine ce qui se serait passé si un événement, marquant ou non, avait en fait dévier le cours. L'exemple classique c'est de se demander quelque chose comme: Et si les Forces de l'Axe avaient gagné la Deuxième Guerre Mondiale? Quel serait notre monde aujourd'hui? Cette partie de la SF, qui "joue avec le Temps et l'Histoire" , s'appelle donc l'Uchronie. Et Il y a évidemment aussi sa soeur, en quelque sorte, ou sa mère, l'Utopie, qui est la construction du "meilleur des mondes possibles" selon l'auteur, ou selon les thèses, politiques, sociales, philosophiques ou scientifiques qu'il défend... Pour moi, à quelques exceptions près, celles des Utopies ambigüs d'une Ursula Le Guin ou d'une Esther Rochon, par exemple, l'Utopie m'est toujours apparue comme un genre extrêmement "suspect" , piégé, presque dangereux, difficile à manier, en tous les cas, parce que je crois que l'Utopie que chaque personne développe habituellement en et pour elle-même, est presque automatiquement, par définition, en quelque sorte, l'Anti-Utopie de la personne qui se trouve à côté de lui. Notre "monde idéal" n'est jamais celui des autres. Alors vouloir ne serait-ce que le proposer, ou pire l'imposer à ces mêmes autres, soulève toujours des problèmes moraux et éthiques importants, sans parler de difficultés et de problèmes pratiques considérables... Et cela exige aussi parfois beaucoup de prétention et une opinion de soi-même et de ses idées dangereusement haute. Dans la réalité, l'Utopie est probablement un état optimum vers lequel il faut tendre continuellement, mais qu'il est également encore plus préférable de ne jamais vraiment atteindre. Pour ma part, je préfère vivre dans les interstices d'un monde imparfait mais humain plutôt que dans qu'à la surface exposée d'un monde d'une perfection impitoyable et inhumaine. D'ailleurs, la plupart des Utopies, mais pas toutes, heureusement, sont trop souvent passablement ennuyantes, du point de vue strictement littéraire... On trouve également, dans la SF, l'Anti-Utopie, qui est justement le contraire de l'Utopie, en quelque sorte, et habituellement la description d'un monde affreux, invivable, un monde totalitaire, dans le style du 1984 de Orwell, très difficile, très dur, tra"nant nombre de problèmes de toutes sortes, sociaux, économiques, politiques, et le reste. En fait également partie, selon certains, la Fantasy, désignation que l'on pourrait plus ou moins traduire par le "Merveilleux" , bien que le terme anglophone signifie en fait beaucoup plus que cela, mais comme on ne possède pas réellement de terme équivalent véritablement satisfaisant en français... Ce n'est pas vraiment du Fantastique, mais la description de mondes où la magie fonctionne en quelque sorte, en tant que remplaçante de la science souvent, d'une manière généralement cohérente, avec ses lois inhérentes et sa propre logique interne. En théorie, on ne peut pas y faire n'importe quoi, comme en SF, dÕailleurs, à la différence du Fantastique, où la cohérence interne, les lois de causes à effets, la logique n'ont pas nécessairement besoin d'être présentes dans le récit. Mais c'est plus compliqué et hybridé que cela dans la pratique. Il y a également l'Anticipation, où l'on part de données techniques et scientifiques qui nous sont connues ou ont déjà des débuts d'applications dans notre vie d'aujourd'hui, de la spéculation sur elles et sur leurs développements, probables ou non, proches ou lointains, d'extrapolations scientifiques ou pseudo-scientifiques, ou para-scientifiques, pour construire une situation, une histoire, une société, apporter un élément au récit sans lequel celui-ci ne pourrait tout simplement pas être envisageable, ne serait certainement pas le même, n'aurait pas la même force d'impact.
DC: On pourrait encore ajouter à tout cela le Space Opera, que l'on pourrait, de manière peut-être un petit peu péjorative, qualifier comme étant une sorte de western ou de conte de fées spatial. La série de films Stars Wars peut, jusqu'à un certain point, être considéré comme du Space Opéra. On y reprend des schémas connus, comme les empires, les chevaliers, les princes et les princesses, et on les reporte dans l'espace, avec les mêmes types de relations, de combats, les mêmes schémas que le roman de chevalerie, ou le roman d'aventure. Est-ce que tu as parlé, René, de la Fiction Spéculative?
RB: Non, je l'avais oubliée, avec tant d'autres sous-genres, d'ailleurs.
DC: La Fiction Spéculative, une désignation qui vient des termes anglais Spéculative Fiction, dont les initiales sont aussi SF comme Science-Fiction, est un des sous-genres dont nous parlions, peut-être un des plus populaires dans le moment en SF.
RB: Avec le Cyberpunk et le Steampunk, également. Veuillez excuser tous ces termes qui paraissent peut-être un peu barbares et incompréhensibles au non initié.
DC: Toujours est-il qu'on y spécule à partir d'une idée, scientifique ou autre, et puis on écrit un roman, une nouvelle, une bande-dessinée, un film à partir de cela, de cette spéculation, disons, intellectuelle.
RB: Je crois que la caractéristique la plus visible de la Fiction Spéculative, fut et reste, contrairement à "l'ancienne Science-Fiction" , -et également à la toute nouvelle, si l'on examine certaines des tendances les plus récentes, mais qui ont toujours été bien présentes, comme le retour aux spéculations et extrapolations avant tout basées sur les sciences et technologies dites "dures" , ou encore "exactes" , la physique, la chimie, l'astrophysique, et le reste, qui s'affirment avec une énergie nouvelle et particulière en ce moment, tant en francophonie que chez les anglophones- sa tendance particulière à se servir surtout des sciences douces, des sciences humaines, si l'on veut, comme la biologie, la génétique, l'anthropologie, l'ethnologie, la linguistique, la sociologie, que certains considèrent comme présentant peut-être moins de rigueur, ou plutôt où l'on travaille à partir de sujets moins prévisibles, calculables, vérifiables expérimentalement, des sciences qui se préoccupent plus de l'esprit humain que du monde physique et matériel, du vivant infiniment changeant et complexe que du matériel plus solide, inanimé, aisément mesurable, quantifiable et observable, et peut-être, moins complexe, moins difficile à saisir, à comprendre, plus propice aux lois et aux généralisations trop faciles.
Animateur: Et qu'en est-il donc du Fantastique?
RB: Le Fantastique est peut-être plus une littérature de pulsions, pour moi. C'est-à-dire que si, là encore, on utilise comme matériel de base les produits de son imagination, on le fait peut-être sans trop les rationaliser, sans nécessairement le filtre de la raison raisonnante et raisonnable, sans surtout celui de la logique interne, de la cohérence, de la vision scientifique. C'est en tout cas ce que je t'aurais dit et aurais soutenu énergiquement il n'y a encore que quelques années. Mais ma position a légèrement changée depuis. En fait, il s'agit, en Fantastique, de sortir ses pulsions, ses rêves, ses angoisses, ses cauchemars, et de leur donner, en quelque sorte, une plus grande réalité, une presque matérialisation, par les mots, par l'écriture, dans des histoires que l'on se conte à soi-même et aux autres. Le Fantastique est parfois, ou devrais-je dire souvent, une sorte de catharsis, de plongée analytique ou psychanalytique, enfin cela le pourrait, ou le devrait, à l'intérieur de l'univers fantasmatique personnel de l'auteur, et éventuellement de celui de ses lecteurs, qu'il rejoint en partie par l'expérience commune de la condition humaine que nous partageons tous plus ou moins de la même manière. C'est donc, à mon avis, une littérature qui se préoccupe souvent plus de l'intérieur du psychisme de l'auteur que des rapports qu'il peut entretenir avec le monde moderne, sa société, les gens qui y vivent, leur évolution et leurs changements. Mais on ne peut pas vraiment généraliser ici. Il existe des oeuvres ou la proposition est inversée: on trouve une SF psychologique et même psychanalytique et un Fantastique à préoccupation sociale. Reste que la différence majeure, pour moi, entre le Fantastique et la SF demeure, même s'il y a une large et abondante utilisation de l'imagination des deux côtés, que le premier ne spécule habituellement pas ses situations de base à partir de faits ou de théories scientifiques ou pseudo-scientifiques, et que l'on a pas nécessairement, quand on développe une histoire Fantastique, à être d'une parfaite cohérence, à faire preuve d'une parfaite rationalité dans les événements que l'on raconte, leur déroulement et leurs conséquences. L'horizon d'attente des lecteurs des deux genres n'est pas exactement le même, leur suspension d'incrédulité ne se situe pas au même niveau, ou plutôt ne répond pas aux mêmes stimulus, ne se déclenche pas, ne se produit pas pour les mêmes raisons, à partir des mêmes éléments. On n'a pas nécessairement besoin dans les deux cas du même genre de cohérence. Le Fantastique est plus le domaine du rêve, ou du cauchemar, direct, brut et fondamental, tandis que la SF est celui du rêve par un intermédiaire plus logique, plus rationalisé.
DC: Le Fantastique a des fifférences fondamentales avec la SF. Je suis assez d'accord avec René pour y voir une littérature de pulsions, quoique dans les structures de plusieurs récits de Fantastique classique, on assiste parfois à une invasion de notre réalité par une réalité étrangère, qui nous demeure souvent à peu près inconnue tout le long de l'histoire. Lorsqu'il y a un mystère, dans le Fantastique traditionnel surtout, on ne nous donne à peu près jamais d'explications sur les causes du phénomène étrange ou insolite décrit. J'ai parlé d'invasion de la réalité, mais souvent le Fantastique présente aussi, et surtout, un dérèglement de la réalité. Les choses ne fonctionnent plus comme elles le devraient, ne sont plus ce qu'elles devraient être, comme la vie quotidienne nous appris à les voir, et cela, souvent, sans explications aucunes. Pour ces raisons le Fantastique est, en effet, une forme psychanalytique, en quelque sorte. Souvent, on dirait que les personnages y sont fous mais, en fait, c'est peut-être l'Univers qui est devenu fou plutôt, celui décrit dans ces histoires-là.
(...)
DC: Mais la machine à explorer le Temps est encore parfois utilisée, plus souvent, en tous les cas, dans les pastiches, les parodies, par les auteurs d'une SF qui se prend moins au sérieux. Il y a deux excellents exemples plus ou moins récents, d'excellents pastiches, que j'aimerais signaler ici. Parlons d'abord de The Space Machine de Christopher Priest, dont déjà le titre ressemble à celui du roman de Wells, The Time Machine. J'imagine que Priest est ou était un amateur de Wells, ce qui serait bien normal. Il a conjugué, assemblé et fusionné habilement les thèmes principaux et l'atmosphère de deux livres de Wells, The Time Machine et The War of the Worlds, pour en faire un seul roman. Au départ, les personnages du livre utilisent aussi une machine à explorer le Temps mais, par un dérèglement de celle-ci, ce n'est pas dans le Temps qu'ils vont voyager, mais bien dans l'EsDC: En fait, le Fantastique n'est pas une littérature à idées, et c'est une autre de ses différences pace, et alors ils se retrouveront sur Mars, la planète Mars que l'on peut imaginer à partir du roman The War of the Worlds, juste avant que les martiens nÕenvahissent la Terre. Il existe un autre roman, de Karl Alexander, plus connu, à cause du film qui en a été tiré par Nicolas Meyer, s'intitulant Time After Time, qui est un petit bijou de film. On y retrouve le personnage de Wells lui-même, qui était un utopiste, un socialiste, un socialiste de l'époque, ce qui ne signifie pas nécessairement la même chose qu'aujourd'hui. C'était un homme qui, malgré un certain pessimisme, ou plutôt réalisme, diraient d'autres, avait confiance dans l'évolution, une certaine évolution, positive, progressiste, une évolution technique, philosophique, sociale. Il s'imaginait que le 20 ième siècle verrait se réaliser son Utopie personnelle en quelque sorte, en partie, du moins.
RB: Mais cet optimisme n'avait rien à voir avec celui, généralement assez béat, d'un Verne, ce qui s'explique peut-être par leurs origines sociales respectives et la trajectoire de leurs vies professionnelles. Ceci dit, Wells déchantait passablement à la fin de sa vie, après deux Guerres Mondiales. Il n'y a qu'à lire ses derniers "romans scientifiques" , et surtout Mind at the End of his Theter, son tout dernier livre, en forme de furieux pamphlet désespéré, pour constater cette évolution. Cela a même atteint Verne sur la fin de sa vie, comme il l'avait déjà pressenti à ses tous débuts comme écrivain, lorsque qu'il ne s'était pas encore fait un nom et que sa situation sociale, financière et professionnelle s'avérait plus précaire. Les auteurs, même ceux qui anticipent, ceux qui écrivent de la SF, le font souvent, sinon toujours, malgré leurs efforts, avant tout à partir du mélange de leur point de vue subjectif, personnel, et de celui de la classe sociale dont ils font ou croient faire partie, de la société et de l'air du temps qui les entourent, les imprègnent, dans lesquels ils baignent littéralement, et dont ils ne peuvent donc, totalement ou même partiellement, réellement s'abstraire. Le roman de SF, en plus d'être anticipation et spéculation, reste donc bien encore, surtout et avant tout, comme son confrère réaliste, ou plutôt naturaliste, dans l'ancien sens littéraire du terme, celui employé pour désigner une bonne partie de l'oeuvre des Balzac, Zola ou Maupassant, qui ont tout de même, signalons-le, sacrifié parfois eux-aussi à l'élan d'une imagination plus spéculative, une sorte de miroir, légèrement déformé, que l'on promène sur la route, que l'on tend au monde actuel et à nos contemporains. Mais ce n'est pas suffisant pour rendre compte du monde et surtout de l'expérience humaine, et la plupart des écrivains, même ceux qui se réclament bien haut et fort du réalisme le plus pur et dur, ont parfois été forcé de le faire appel à l'imagination et à la spéculation. Cet appel demeure assez irrépressible, une aspiration bien naturelle pour l'être humain normal.
(...)
DC: Tout ce que tu as dit est vrai. Tous les aspects sont possibles. Mais il y a aussi une SF qui est parodique, humoristique et, à ce moment-là, même la cohérence n'est pas obligatoirement nécessaire. La Science-Fiction, je ne la vois pas comme devant nécessairement être conforme aux découvertes scientifiques. L'Imagination y aura toujours une large part. L'auteur est libre. Il peut complètement se détacher des croyances et des découvertes de son époque. Mais le soucis de cohérence, pour un ouvrage non humoristique, ou non parodique, est peut-être encore bien plus important que la crédibilité, parce que j'ai l'impression que si des physiciens, par exemple, lisaient la plupart des livres de SF où on retrouve une utilisation importante des sciences physiques, ils se diraient que cela n'a aucun bon sens et ne correspond généralement pas du tout aux découvertes actuelles, à ce qu'eux en pensent, du moins, aux diverses théories qui s'affrontent présentement.
RB: D'une certaine manière, je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit Denis. En fait, ce n'est pas vraiment le problème. La SF n'a pas nécessairement à être totalement et parfaitement cohérente scientifiquement, au-delà d'un certain point précis, d'un certain degré, pour moi, en tous les cas. Il faut juste qu'elle le soit assez pour suspendre l'incrédulité du lecteur, pour l'amener à entrer de plein gré et sans trop de réserves dans le presque pur jeu littéraire, intellectuel, esthétique et émotionnel que constitue un texte de fiction et, pour cela, l'histoire requiert, avant tout, une cohérence interne, et surtout une fidélité aux prémisses de base que l'auteur établit dans son livre. Il faut que l'écrivain ne fasse pas tout à fait n'importe quoi, en tous les cas qu'il ne transgresse pas les lois et règles qu'il a déjà établies lui-même pour son roman, le cadre dans lequel il a choisi de le situer, les conditions de jeu qu'il s'est données. En quelque sorte, il ne faut pas qu'il scie lui-même la branche sur laquelle il s'est assis. L'important, en Science-Fiction comme en littérature générale d'ailleurs, c'est exactement la même chose, c'est de ne pas tromper son lecteur, le prendre pour un imbécile, essayer de lui passer n'importe quoi, ou changer plus ou moins arbitrairement les règles à l'unique avantage de l'auteur et de son histoire en plein milieu de la partie. C'est un peu comme dans le roman policier classique à énigme quand on joue honnêtement le jeu. On ne peu pas vraiment faire n'importe quoi. Dans un texte sérieux, non humoristique, il faut que les prémisses que l'on utilise soient scientifiquement fondées et vérifiables, qu'on les respecte, les soutienne, les suive, y reste conforme, que l'on soit parfaitement logique, et surtout, que le monde que l'on construit à partir de ces prémisses-là soit suffisamment cohérent, c'est-à-dire que le lecteur puisse entrer dedans, s'y installer, éventuellement à l'aise, relativement confortablement. Ce monde-là, étant cohérent, prend alors, en quelque sorte, une valeur de "réel" , devient d'une certaine manière le "réel fictionel" du lecteur, durant le temps de sa lecture à tout le moins. Le lecteur suspend alors volontairement ce que l'on pourrait appeler son "sentiment d'incroyance ou d'incrédulité" , si l'on me permet ces termes un peu improvisés, son sentiment "naturel" de scepticisme, de non implication, de non rapport direct avec la fiction qu'il est en train de lire. Ce qui lui permet de lire ce livre, comme cela lui permet de lire toutes les histoires qu'il lit, en fait, et donc, d'y prendre plaisir. Ce rapport n'est pas nécessairement évident et naturel. Un texte de fiction, ce sont avant tout des phrases, constituées d'un assemblage ordonné et arbitraire de mots et donc, de signes typographiques, de lettres imprimées sur du papier. C'est un objet inerte qui, par lui-même ne signifie rien, ne nous dit rien. Il n'existe, après que son auteur l'ait écrit et qu'il ait été imprimé, que par la volonté, l'intercession et la participation active et consentante de son lecteur. On doit vivre ou périr à partir et en fonction de ce que l'on s'est donné comme point de départ. Je veux dire que, pour prendre l'exemple du roman historique sérieux, recherché et de qualité, si vous êtes un occidental contemporain et que l'on vous dépeint dans un livre la société hindoue ou chinoise du 8 ième siècle, avec les gens qui y vivaient, l'auteur et son lecteur se retrouvent presque exactement devant les mêmes problèmes, en tous les cas des difficultés assez proches, de celles posées par l'écriture et la lecture d'un roman de Science-Fiction. En tant quÕauteur, il faut que vous décriviez cette société et ces personnages anciens et étrangers de manière cohérente et crédible, il faut fournir à votre lecteur assez d'étrange et de différent pour qu'il y croit, qu'il n'ait pas l'impression que vous vous contentez d'exposer des généralités bien connues de tous ou de simplement transposer de manière plus ou moins habile ou transparente, comme on étend du vernis sur un vieux meuble pour le rajeunir, ce que nous vivons aujourdÕhui et les gens que nous pouvons rencontrer dans un décor plus ou moins exotique. Votre société étrangère doit être suffisamment bien construite, bien rendue, pour que le lecteur s'y intéresse vraiment, pour qu'on y "croit" , en quelque sorte, qu'on n'y découvre pas trop d'invraisemblances ou d'incohérences, et aussi que puisse s'établir un rapport suffisant et nécessaire entre elle et celle dans laquelle vit le lecteur. Si ce n'est pas correctement fait, accompli, le lecteur ordinaire ne pourra pas "entrer" dans l'univers fictionel du roman, le comprendre, l'interpréter et y "vivre" à son tour, ne serait-ce que par procuration. Quand votre lecteur séjourne temporairement dans la maison que vous lui avez construite, qu'il la visite, il faut que vous lui en fournissiez les clefs qui lui permettront d'y entrer, les renseignements qui lui permettront d'y vivre. Ce qui amène un autre problème que nous devons affronter comme auteur: celui de la dose d'étrange, de bizarre, de différent que l'on peut d'abord créer, puis servir impunément à notre lecteur. Il faut bien lui fournir suffisamment d'étrange pour le titiller, l'intéresser, le forcer à continuer sa lecture et sa découverte de ce monde et des gens qui l'habitent, mais aussi pas trop, afin d'éviter que le livre lui paraisse totalement étranger, voire incompréhensible et alors, sans beaucoup d'intérêt pour lui. On doit offrir un habile mélange, bien dosé, de même et d'autre, de semblable et de différent. Sans cela, le livre n'aura, pour son lecteur, qu'une valeur de "fiction totale" , de création trop artificielle et sans rapport avec lui et son expérience de vie de tous les jours. Cette fiction prendra alors pour lui, au mieux, une apparence de pur jeu intellectuel, probablement passablement vain, voire inutile, un rien stérile et bien inintéressant. Il n'y "croira pas" , là encore, il ne pourra pas "vivre" dans le livre, s'y intégrer, en quelque sorte, vraiment s'y intéresser de manière volontaire, participative et consciente, même temporairement. C'est l'éternel problème du "Mens-moi, mais fais cela bien, pour que j'y crois . La communication entre le lecteur et l'auteur, leur coopération commune à la création du livre , qu'ils créent alors ensemble tous les deux en quelque sorte, le lecteur recréant plus qu'il ne crée vraiment, il est vrai, mais quand même, le lien, l'accomplissement du contrat tacite qui existent entre eux pour leur satisfaction mutuelle, ne se font qu'à ce prix, avec ces concessions mutuelles minimum de part et d'autre. Pour moi, le problème est presque exactement le même dans la Science-Fiction que dans la littérature générale: dans les deux cas, il s'agit de construire, présenter, donner à voir, à entendre, à comprendre et à éprouver des sensations, des événements, des personnages, des mondes fictifs, de manière à ce qu'ils deviennent pour le lecteur, crédibles et cohérents, voire presque familiers. La seule différence c'est que, pour les littératures de l'Imaginaire, c'est un peu plus difficile parce que l'on fait alors là appel à autre chose qu'à la réalité consensuelle mimétique et habituelle du lecteur, celle où il vit, qu'il perçoit et éprouve tous les jours. On évoque autre chose, de plus étrange et inconnu, de plus difficile à créer et recréer, montrer, ressentir, éprouver et percevoir. Il faut donc, pour l'écrivain être encore plus habile, crédible, convainquant et compréhensible.
Voilà, j'espère que vous vous êtes bien instruits ou bien amusés, au moins. C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écrivez beaucoup. Avec mes excuses de ne pas vous répondre individuellement et mes amitiés.
(Version Non Intégrale)
Voici donc certaines parties de l'ancienne entrevue réalisée avec Denis Côté et moi, lors d'une émission de radio à CKRL-FM, la bien connue station de Québec, un texte dont on a pu déjà pu lire la quasi intégralité dans un numéro de la revue Solaris, il y a quelques années, et qu'il avait alors fallu raccourcir un peu, pour diverses raisons,lors de sa publication première. Ce ne sont là que quelques dialogues et réflexions émis lors d'une conversation sur le thème du Temps, et ses affiliés, tels qu'uilisés dans nos littératures, en bande-desinnées et au cinéma de SF également. On tiendra compte ici qu'elle date quand même de presque une bonne quinzaine d'années et que nos idées et impressions, concernant tout cela, peuvent avoir un peu changer depuis...
Les signes typographiques suivants (...) indiquent que des extraits de l'entrevue ont été retirés pour cette publication-ci et qu'ils n'ont été pas encore restaurés à partir de l'original, qui repose présentement dans mes archives personelles. Mais ce devrait être fait d'ici quelques temps... , c'est le cas de le dire! )
Je vous souhaite une bonne lecture.
Quelques Réfexions sur le Thème du Temps dans la Science-Fiction
Une discussion avec Denis Côté et René Beaulieu
Animateur: Vous êtes deux écrivains oeuvrant dans ce que l'on pourrait appeler le domaine de l'Anticipation. Si on commençait par définir le terme... ?
Denis Côté: L'Anticipation, comme bien d'autres domaines, je la voie comme une branche de la Science-Fiction. Pour moi, la SF n'est pas tellement un genre qu'un ensemble de genres très divers. Mais si l'on regarde cet espèce de "sous-genre" , avec des guillemets, qu'est l'Anticipation, déjà, quand on considère le mot lui-même, on peut y trouver un définition assez simple. Il y a "anticiper" dans anticipation. On anticipe, on regarde ce qui va se passer demain.
Animateur: L'Anticipation serait donc un sous-genre de la Science-Fiction. Quels seraient les autres?
DC: Il y en a beaucoup...
René Beaulieu: Il y en a de très nombreux. La Science-Fiction, c'est une grande famille de genres littéraires. Tout cela est né, évidemment, du Fantastique. La SF en tant que telle est née du Fantastique, du récit utopique, des légendes, des sagas, de toute la littérature mythologique, orale et écrite des âges anciens. Et au siècle dernier, avec l'arrivée de l'ère industrielle et des progrès scientifiques, la SF est vraiment apparue comme telle, un espèce de produit et de dérivé de tout l'Imaginaire des êtres humains, maintenant nourri par le progrès scientifique. Pour ce qui est des divisions ou différences entre les genres... Très schématiquement, -- Et on pourrait me contester ici, les gens s'arrachent habituellement les cheveux sur les définitions -- on trouve dans la Science-Fiction des genres comme l'Uchronie, qui est une sorte d' "Histoire parallèle" , si l'on veut une définition pratique. Il s'agit ici de bâtir une "nouvelle Histoire" , de faire un texte "historique" , ou plutôt "pseudo historique" , à partir d'une divergence, importante ou non, avec notre Histoire réelle, de décrire une Histoire autre. On part de notre Histoire à nous, telle que nous la connaissons, et l'on imagine ce qui se serait passé si un événement, marquant ou non, avait en fait dévier le cours. L'exemple classique c'est de se demander quelque chose comme: Et si les Forces de l'Axe avaient gagné la Deuxième Guerre Mondiale? Quel serait notre monde aujourd'hui? Cette partie de la SF, qui "joue avec le Temps et l'Histoire" , s'appelle donc l'Uchronie. Et Il y a évidemment aussi sa soeur, en quelque sorte, ou sa mère, l'Utopie, qui est la construction du "meilleur des mondes possibles" selon l'auteur, ou selon les thèses, politiques, sociales, philosophiques ou scientifiques qu'il défend... Pour moi, à quelques exceptions près, celles des Utopies ambigüs d'une Ursula Le Guin ou d'une Esther Rochon, par exemple, l'Utopie m'est toujours apparue comme un genre extrêmement "suspect" , piégé, presque dangereux, difficile à manier, en tous les cas, parce que je crois que l'Utopie que chaque personne développe habituellement en et pour elle-même, est presque automatiquement, par définition, en quelque sorte, l'Anti-Utopie de la personne qui se trouve à côté de lui. Notre "monde idéal" n'est jamais celui des autres. Alors vouloir ne serait-ce que le proposer, ou pire l'imposer à ces mêmes autres, soulève toujours des problèmes moraux et éthiques importants, sans parler de difficultés et de problèmes pratiques considérables... Et cela exige aussi parfois beaucoup de prétention et une opinion de soi-même et de ses idées dangereusement haute. Dans la réalité, l'Utopie est probablement un état optimum vers lequel il faut tendre continuellement, mais qu'il est également encore plus préférable de ne jamais vraiment atteindre. Pour ma part, je préfère vivre dans les interstices d'un monde imparfait mais humain plutôt que dans qu'à la surface exposée d'un monde d'une perfection impitoyable et inhumaine. D'ailleurs, la plupart des Utopies, mais pas toutes, heureusement, sont trop souvent passablement ennuyantes, du point de vue strictement littéraire... On trouve également, dans la SF, l'Anti-Utopie, qui est justement le contraire de l'Utopie, en quelque sorte, et habituellement la description d'un monde affreux, invivable, un monde totalitaire, dans le style du 1984 de Orwell, très difficile, très dur, tra"nant nombre de problèmes de toutes sortes, sociaux, économiques, politiques, et le reste. En fait également partie, selon certains, la Fantasy, désignation que l'on pourrait plus ou moins traduire par le "Merveilleux" , bien que le terme anglophone signifie en fait beaucoup plus que cela, mais comme on ne possède pas réellement de terme équivalent véritablement satisfaisant en français... Ce n'est pas vraiment du Fantastique, mais la description de mondes où la magie fonctionne en quelque sorte, en tant que remplaçante de la science souvent, d'une manière généralement cohérente, avec ses lois inhérentes et sa propre logique interne. En théorie, on ne peut pas y faire n'importe quoi, comme en SF, dÕailleurs, à la différence du Fantastique, où la cohérence interne, les lois de causes à effets, la logique n'ont pas nécessairement besoin d'être présentes dans le récit. Mais c'est plus compliqué et hybridé que cela dans la pratique. Il y a également l'Anticipation, où l'on part de données techniques et scientifiques qui nous sont connues ou ont déjà des débuts d'applications dans notre vie d'aujourd'hui, de la spéculation sur elles et sur leurs développements, probables ou non, proches ou lointains, d'extrapolations scientifiques ou pseudo-scientifiques, ou para-scientifiques, pour construire une situation, une histoire, une société, apporter un élément au récit sans lequel celui-ci ne pourrait tout simplement pas être envisageable, ne serait certainement pas le même, n'aurait pas la même force d'impact.
DC: On pourrait encore ajouter à tout cela le Space Opera, que l'on pourrait, de manière peut-être un petit peu péjorative, qualifier comme étant une sorte de western ou de conte de fées spatial. La série de films Stars Wars peut, jusqu'à un certain point, être considéré comme du Space Opéra. On y reprend des schémas connus, comme les empires, les chevaliers, les princes et les princesses, et on les reporte dans l'espace, avec les mêmes types de relations, de combats, les mêmes schémas que le roman de chevalerie, ou le roman d'aventure. Est-ce que tu as parlé, René, de la Fiction Spéculative?
RB: Non, je l'avais oubliée, avec tant d'autres sous-genres, d'ailleurs.
DC: La Fiction Spéculative, une désignation qui vient des termes anglais Spéculative Fiction, dont les initiales sont aussi SF comme Science-Fiction, est un des sous-genres dont nous parlions, peut-être un des plus populaires dans le moment en SF.
RB: Avec le Cyberpunk et le Steampunk, également. Veuillez excuser tous ces termes qui paraissent peut-être un peu barbares et incompréhensibles au non initié.
DC: Toujours est-il qu'on y spécule à partir d'une idée, scientifique ou autre, et puis on écrit un roman, une nouvelle, une bande-dessinée, un film à partir de cela, de cette spéculation, disons, intellectuelle.
RB: Je crois que la caractéristique la plus visible de la Fiction Spéculative, fut et reste, contrairement à "l'ancienne Science-Fiction" , -et également à la toute nouvelle, si l'on examine certaines des tendances les plus récentes, mais qui ont toujours été bien présentes, comme le retour aux spéculations et extrapolations avant tout basées sur les sciences et technologies dites "dures" , ou encore "exactes" , la physique, la chimie, l'astrophysique, et le reste, qui s'affirment avec une énergie nouvelle et particulière en ce moment, tant en francophonie que chez les anglophones- sa tendance particulière à se servir surtout des sciences douces, des sciences humaines, si l'on veut, comme la biologie, la génétique, l'anthropologie, l'ethnologie, la linguistique, la sociologie, que certains considèrent comme présentant peut-être moins de rigueur, ou plutôt où l'on travaille à partir de sujets moins prévisibles, calculables, vérifiables expérimentalement, des sciences qui se préoccupent plus de l'esprit humain que du monde physique et matériel, du vivant infiniment changeant et complexe que du matériel plus solide, inanimé, aisément mesurable, quantifiable et observable, et peut-être, moins complexe, moins difficile à saisir, à comprendre, plus propice aux lois et aux généralisations trop faciles.
Animateur: Et qu'en est-il donc du Fantastique?
RB: Le Fantastique est peut-être plus une littérature de pulsions, pour moi. C'est-à-dire que si, là encore, on utilise comme matériel de base les produits de son imagination, on le fait peut-être sans trop les rationaliser, sans nécessairement le filtre de la raison raisonnante et raisonnable, sans surtout celui de la logique interne, de la cohérence, de la vision scientifique. C'est en tout cas ce que je t'aurais dit et aurais soutenu énergiquement il n'y a encore que quelques années. Mais ma position a légèrement changée depuis. En fait, il s'agit, en Fantastique, de sortir ses pulsions, ses rêves, ses angoisses, ses cauchemars, et de leur donner, en quelque sorte, une plus grande réalité, une presque matérialisation, par les mots, par l'écriture, dans des histoires que l'on se conte à soi-même et aux autres. Le Fantastique est parfois, ou devrais-je dire souvent, une sorte de catharsis, de plongée analytique ou psychanalytique, enfin cela le pourrait, ou le devrait, à l'intérieur de l'univers fantasmatique personnel de l'auteur, et éventuellement de celui de ses lecteurs, qu'il rejoint en partie par l'expérience commune de la condition humaine que nous partageons tous plus ou moins de la même manière. C'est donc, à mon avis, une littérature qui se préoccupe souvent plus de l'intérieur du psychisme de l'auteur que des rapports qu'il peut entretenir avec le monde moderne, sa société, les gens qui y vivent, leur évolution et leurs changements. Mais on ne peut pas vraiment généraliser ici. Il existe des oeuvres ou la proposition est inversée: on trouve une SF psychologique et même psychanalytique et un Fantastique à préoccupation sociale. Reste que la différence majeure, pour moi, entre le Fantastique et la SF demeure, même s'il y a une large et abondante utilisation de l'imagination des deux côtés, que le premier ne spécule habituellement pas ses situations de base à partir de faits ou de théories scientifiques ou pseudo-scientifiques, et que l'on a pas nécessairement, quand on développe une histoire Fantastique, à être d'une parfaite cohérence, à faire preuve d'une parfaite rationalité dans les événements que l'on raconte, leur déroulement et leurs conséquences. L'horizon d'attente des lecteurs des deux genres n'est pas exactement le même, leur suspension d'incrédulité ne se situe pas au même niveau, ou plutôt ne répond pas aux mêmes stimulus, ne se déclenche pas, ne se produit pas pour les mêmes raisons, à partir des mêmes éléments. On n'a pas nécessairement besoin dans les deux cas du même genre de cohérence. Le Fantastique est plus le domaine du rêve, ou du cauchemar, direct, brut et fondamental, tandis que la SF est celui du rêve par un intermédiaire plus logique, plus rationalisé.
DC: Le Fantastique a des fifférences fondamentales avec la SF. Je suis assez d'accord avec René pour y voir une littérature de pulsions, quoique dans les structures de plusieurs récits de Fantastique classique, on assiste parfois à une invasion de notre réalité par une réalité étrangère, qui nous demeure souvent à peu près inconnue tout le long de l'histoire. Lorsqu'il y a un mystère, dans le Fantastique traditionnel surtout, on ne nous donne à peu près jamais d'explications sur les causes du phénomène étrange ou insolite décrit. J'ai parlé d'invasion de la réalité, mais souvent le Fantastique présente aussi, et surtout, un dérèglement de la réalité. Les choses ne fonctionnent plus comme elles le devraient, ne sont plus ce qu'elles devraient être, comme la vie quotidienne nous appris à les voir, et cela, souvent, sans explications aucunes. Pour ces raisons le Fantastique est, en effet, une forme psychanalytique, en quelque sorte. Souvent, on dirait que les personnages y sont fous mais, en fait, c'est peut-être l'Univers qui est devenu fou plutôt, celui décrit dans ces histoires-là.
(...)
DC: Mais la machine à explorer le Temps est encore parfois utilisée, plus souvent, en tous les cas, dans les pastiches, les parodies, par les auteurs d'une SF qui se prend moins au sérieux. Il y a deux excellents exemples plus ou moins récents, d'excellents pastiches, que j'aimerais signaler ici. Parlons d'abord de The Space Machine de Christopher Priest, dont déjà le titre ressemble à celui du roman de Wells, The Time Machine. J'imagine que Priest est ou était un amateur de Wells, ce qui serait bien normal. Il a conjugué, assemblé et fusionné habilement les thèmes principaux et l'atmosphère de deux livres de Wells, The Time Machine et The War of the Worlds, pour en faire un seul roman. Au départ, les personnages du livre utilisent aussi une machine à explorer le Temps mais, par un dérèglement de celle-ci, ce n'est pas dans le Temps qu'ils vont voyager, mais bien dans l'EsDC: En fait, le Fantastique n'est pas une littérature à idées, et c'est une autre de ses différences pace, et alors ils se retrouveront sur Mars, la planète Mars que l'on peut imaginer à partir du roman The War of the Worlds, juste avant que les martiens nÕenvahissent la Terre. Il existe un autre roman, de Karl Alexander, plus connu, à cause du film qui en a été tiré par Nicolas Meyer, s'intitulant Time After Time, qui est un petit bijou de film. On y retrouve le personnage de Wells lui-même, qui était un utopiste, un socialiste, un socialiste de l'époque, ce qui ne signifie pas nécessairement la même chose qu'aujourd'hui. C'était un homme qui, malgré un certain pessimisme, ou plutôt réalisme, diraient d'autres, avait confiance dans l'évolution, une certaine évolution, positive, progressiste, une évolution technique, philosophique, sociale. Il s'imaginait que le 20 ième siècle verrait se réaliser son Utopie personnelle en quelque sorte, en partie, du moins.
RB: Mais cet optimisme n'avait rien à voir avec celui, généralement assez béat, d'un Verne, ce qui s'explique peut-être par leurs origines sociales respectives et la trajectoire de leurs vies professionnelles. Ceci dit, Wells déchantait passablement à la fin de sa vie, après deux Guerres Mondiales. Il n'y a qu'à lire ses derniers "romans scientifiques" , et surtout Mind at the End of his Theter, son tout dernier livre, en forme de furieux pamphlet désespéré, pour constater cette évolution. Cela a même atteint Verne sur la fin de sa vie, comme il l'avait déjà pressenti à ses tous débuts comme écrivain, lorsque qu'il ne s'était pas encore fait un nom et que sa situation sociale, financière et professionnelle s'avérait plus précaire. Les auteurs, même ceux qui anticipent, ceux qui écrivent de la SF, le font souvent, sinon toujours, malgré leurs efforts, avant tout à partir du mélange de leur point de vue subjectif, personnel, et de celui de la classe sociale dont ils font ou croient faire partie, de la société et de l'air du temps qui les entourent, les imprègnent, dans lesquels ils baignent littéralement, et dont ils ne peuvent donc, totalement ou même partiellement, réellement s'abstraire. Le roman de SF, en plus d'être anticipation et spéculation, reste donc bien encore, surtout et avant tout, comme son confrère réaliste, ou plutôt naturaliste, dans l'ancien sens littéraire du terme, celui employé pour désigner une bonne partie de l'oeuvre des Balzac, Zola ou Maupassant, qui ont tout de même, signalons-le, sacrifié parfois eux-aussi à l'élan d'une imagination plus spéculative, une sorte de miroir, légèrement déformé, que l'on promène sur la route, que l'on tend au monde actuel et à nos contemporains. Mais ce n'est pas suffisant pour rendre compte du monde et surtout de l'expérience humaine, et la plupart des écrivains, même ceux qui se réclament bien haut et fort du réalisme le plus pur et dur, ont parfois été forcé de le faire appel à l'imagination et à la spéculation. Cet appel demeure assez irrépressible, une aspiration bien naturelle pour l'être humain normal.
(...)
DC: Tout ce que tu as dit est vrai. Tous les aspects sont possibles. Mais il y a aussi une SF qui est parodique, humoristique et, à ce moment-là, même la cohérence n'est pas obligatoirement nécessaire. La Science-Fiction, je ne la vois pas comme devant nécessairement être conforme aux découvertes scientifiques. L'Imagination y aura toujours une large part. L'auteur est libre. Il peut complètement se détacher des croyances et des découvertes de son époque. Mais le soucis de cohérence, pour un ouvrage non humoristique, ou non parodique, est peut-être encore bien plus important que la crédibilité, parce que j'ai l'impression que si des physiciens, par exemple, lisaient la plupart des livres de SF où on retrouve une utilisation importante des sciences physiques, ils se diraient que cela n'a aucun bon sens et ne correspond généralement pas du tout aux découvertes actuelles, à ce qu'eux en pensent, du moins, aux diverses théories qui s'affrontent présentement.
RB: D'une certaine manière, je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit Denis. En fait, ce n'est pas vraiment le problème. La SF n'a pas nécessairement à être totalement et parfaitement cohérente scientifiquement, au-delà d'un certain point précis, d'un certain degré, pour moi, en tous les cas. Il faut juste qu'elle le soit assez pour suspendre l'incrédulité du lecteur, pour l'amener à entrer de plein gré et sans trop de réserves dans le presque pur jeu littéraire, intellectuel, esthétique et émotionnel que constitue un texte de fiction et, pour cela, l'histoire requiert, avant tout, une cohérence interne, et surtout une fidélité aux prémisses de base que l'auteur établit dans son livre. Il faut que l'écrivain ne fasse pas tout à fait n'importe quoi, en tous les cas qu'il ne transgresse pas les lois et règles qu'il a déjà établies lui-même pour son roman, le cadre dans lequel il a choisi de le situer, les conditions de jeu qu'il s'est données. En quelque sorte, il ne faut pas qu'il scie lui-même la branche sur laquelle il s'est assis. L'important, en Science-Fiction comme en littérature générale d'ailleurs, c'est exactement la même chose, c'est de ne pas tromper son lecteur, le prendre pour un imbécile, essayer de lui passer n'importe quoi, ou changer plus ou moins arbitrairement les règles à l'unique avantage de l'auteur et de son histoire en plein milieu de la partie. C'est un peu comme dans le roman policier classique à énigme quand on joue honnêtement le jeu. On ne peu pas vraiment faire n'importe quoi. Dans un texte sérieux, non humoristique, il faut que les prémisses que l'on utilise soient scientifiquement fondées et vérifiables, qu'on les respecte, les soutienne, les suive, y reste conforme, que l'on soit parfaitement logique, et surtout, que le monde que l'on construit à partir de ces prémisses-là soit suffisamment cohérent, c'est-à-dire que le lecteur puisse entrer dedans, s'y installer, éventuellement à l'aise, relativement confortablement. Ce monde-là, étant cohérent, prend alors, en quelque sorte, une valeur de "réel" , devient d'une certaine manière le "réel fictionel" du lecteur, durant le temps de sa lecture à tout le moins. Le lecteur suspend alors volontairement ce que l'on pourrait appeler son "sentiment d'incroyance ou d'incrédulité" , si l'on me permet ces termes un peu improvisés, son sentiment "naturel" de scepticisme, de non implication, de non rapport direct avec la fiction qu'il est en train de lire. Ce qui lui permet de lire ce livre, comme cela lui permet de lire toutes les histoires qu'il lit, en fait, et donc, d'y prendre plaisir. Ce rapport n'est pas nécessairement évident et naturel. Un texte de fiction, ce sont avant tout des phrases, constituées d'un assemblage ordonné et arbitraire de mots et donc, de signes typographiques, de lettres imprimées sur du papier. C'est un objet inerte qui, par lui-même ne signifie rien, ne nous dit rien. Il n'existe, après que son auteur l'ait écrit et qu'il ait été imprimé, que par la volonté, l'intercession et la participation active et consentante de son lecteur. On doit vivre ou périr à partir et en fonction de ce que l'on s'est donné comme point de départ. Je veux dire que, pour prendre l'exemple du roman historique sérieux, recherché et de qualité, si vous êtes un occidental contemporain et que l'on vous dépeint dans un livre la société hindoue ou chinoise du 8 ième siècle, avec les gens qui y vivaient, l'auteur et son lecteur se retrouvent presque exactement devant les mêmes problèmes, en tous les cas des difficultés assez proches, de celles posées par l'écriture et la lecture d'un roman de Science-Fiction. En tant quÕauteur, il faut que vous décriviez cette société et ces personnages anciens et étrangers de manière cohérente et crédible, il faut fournir à votre lecteur assez d'étrange et de différent pour qu'il y croit, qu'il n'ait pas l'impression que vous vous contentez d'exposer des généralités bien connues de tous ou de simplement transposer de manière plus ou moins habile ou transparente, comme on étend du vernis sur un vieux meuble pour le rajeunir, ce que nous vivons aujourdÕhui et les gens que nous pouvons rencontrer dans un décor plus ou moins exotique. Votre société étrangère doit être suffisamment bien construite, bien rendue, pour que le lecteur s'y intéresse vraiment, pour qu'on y "croit" , en quelque sorte, qu'on n'y découvre pas trop d'invraisemblances ou d'incohérences, et aussi que puisse s'établir un rapport suffisant et nécessaire entre elle et celle dans laquelle vit le lecteur. Si ce n'est pas correctement fait, accompli, le lecteur ordinaire ne pourra pas "entrer" dans l'univers fictionel du roman, le comprendre, l'interpréter et y "vivre" à son tour, ne serait-ce que par procuration. Quand votre lecteur séjourne temporairement dans la maison que vous lui avez construite, qu'il la visite, il faut que vous lui en fournissiez les clefs qui lui permettront d'y entrer, les renseignements qui lui permettront d'y vivre. Ce qui amène un autre problème que nous devons affronter comme auteur: celui de la dose d'étrange, de bizarre, de différent que l'on peut d'abord créer, puis servir impunément à notre lecteur. Il faut bien lui fournir suffisamment d'étrange pour le titiller, l'intéresser, le forcer à continuer sa lecture et sa découverte de ce monde et des gens qui l'habitent, mais aussi pas trop, afin d'éviter que le livre lui paraisse totalement étranger, voire incompréhensible et alors, sans beaucoup d'intérêt pour lui. On doit offrir un habile mélange, bien dosé, de même et d'autre, de semblable et de différent. Sans cela, le livre n'aura, pour son lecteur, qu'une valeur de "fiction totale" , de création trop artificielle et sans rapport avec lui et son expérience de vie de tous les jours. Cette fiction prendra alors pour lui, au mieux, une apparence de pur jeu intellectuel, probablement passablement vain, voire inutile, un rien stérile et bien inintéressant. Il n'y "croira pas" , là encore, il ne pourra pas "vivre" dans le livre, s'y intégrer, en quelque sorte, vraiment s'y intéresser de manière volontaire, participative et consciente, même temporairement. C'est l'éternel problème du "Mens-moi, mais fais cela bien, pour que j'y crois . La communication entre le lecteur et l'auteur, leur coopération commune à la création du livre , qu'ils créent alors ensemble tous les deux en quelque sorte, le lecteur recréant plus qu'il ne crée vraiment, il est vrai, mais quand même, le lien, l'accomplissement du contrat tacite qui existent entre eux pour leur satisfaction mutuelle, ne se font qu'à ce prix, avec ces concessions mutuelles minimum de part et d'autre. Pour moi, le problème est presque exactement le même dans la Science-Fiction que dans la littérature générale: dans les deux cas, il s'agit de construire, présenter, donner à voir, à entendre, à comprendre et à éprouver des sensations, des événements, des personnages, des mondes fictifs, de manière à ce qu'ils deviennent pour le lecteur, crédibles et cohérents, voire presque familiers. La seule différence c'est que, pour les littératures de l'Imaginaire, c'est un peu plus difficile parce que l'on fait alors là appel à autre chose qu'à la réalité consensuelle mimétique et habituelle du lecteur, celle où il vit, qu'il perçoit et éprouve tous les jours. On évoque autre chose, de plus étrange et inconnu, de plus difficile à créer et recréer, montrer, ressentir, éprouver et percevoir. Il faut donc, pour l'écrivain être encore plus habile, crédible, convainquant et compréhensible.
Voilà, j'espère que vous vous êtes bien instruits ou bien amusés, au moins. C'est tout pour aujourd'hui. Portez-vous bien et écrivez beaucoup. Avec mes excuses de ne pas vous répondre individuellement et mes amitiés.
Ecrit par René Beaulieu, le Dimanche 16 Octobre 2005, 17:40 dans la rubrique Textes.